6. Les années 20 et la décision historique de l’AOA

Les évènements qui marquent un tournant en 1919 et déterminent le début et l'évolution vers une médecine ostéopathique parallèle à la médecine orthodoxe, avec une formation et un but professionnel analogues.

Après la fin de la Première Guerre Mondiale, les établissements de médecine orthodoxe bénéficient d’allègements fiscaux, donations et autres financements publics et privés. Ils étendent donc le cursus et introduisent de nouvelles matières, acquièrent des équipements de laboratoire et acceptent seulement les inscriptions ayant suivi 2 ans d’études préparatoires. Ainsi, les établissements de médecins réguliers peuvent avancer par rapport à la situation dénoncée par Flexner en 1910, de sorte qu’à la fin des années 20 la formation des médecins orthodoxes américains peut se définir comme homogène et extrêmement qualifiée1:87.

Pour plusieurs raisons, les écoles d’ostéopathie ne parviennent pas à garder la cadence avec celles orthodoxes. Malgré les efforts pour améliorer la qualité des cours, l’absence de subventions et de financements et bénéfices fiscaux empêche les directeurs d’écoles d’élever leurs critères d’admission. Même si l’AOA stipule que les écoles doivent demander aux nouveaux inscrits le baccalauréat, l’alignement de tous les instituts à cette norme n’a lieu que dans les années 301:90.

Par ailleurs, on ne constate pas d’uniformité entre les ostéopathes. Par exemple, le Dr. George Laughlin, le gendre de A.T. Still et doyen de Kirksville College, estime qu’imiter les écoles de médecine orthodoxe est une erreur, introduisant les études préparatoires obligatoires. Il affirme que cela décourage les étudiants moins privilégiés en provenance de zones rurales et des petites villes, entraînant une baisse des médecins dans les zones peu peuplées1:90-91.

Les discussions en interne autour de l’étude de la pharmacologie : en 1920, l’AOA approuvé un cursus d’études standardisé contenant « toutes les matières nécessaires pour la formation d’un médecin ostéopathe général parfaitement compétent », excluant la pharmacologie ou materia medica. Toutefois, les ostéopathes obtiennent des scores plus bas que les MD aux concours d’état, en raison du manque de préparation. Souvent, les directeurs des collèges cherchent des compromis mais doivent agir avec précaution pour ne pas perdre leur agrément auprès de l’ACO. En 1924, la proposition du college de Chicago pour insérer dans le cursus un cours approfondi sur la materia medica est refusée par l’AOA à 17 voies contre une. Cela oblige l’école à faire marche arrière.

Le violent débat entre ostéopathes « puristes » et ceux « au sens large » s’accentue même si après le premier quart du siècle, la position des premiers est de moins en moins soutenable. S’enraciner dans la position de l’ostéopathie « pure » ne facilite pas la lutte pour la reconnaissance : les législateurs veulent avoir la certitude que les DO possède le même bagage de connaissances que les MD. Et en refusant l’étude et l’emploi des médicaments, les ostéopathes donnent un avantage aux accusations de l’AMA, qui refuse catégoriquement en 1923 de reconnaître la validité de la médecine ostéopathique.

La haine des médecins est si forte que le conseil de direction de l’AMA accuse l’ostéopathie de sectarisme, affirmant que les DO oeuvrent selon des principes non scientifiques. Il interdit en outre à tous ses membres de consulter les ostéopathes ou soutenir de quelle que façon que ce soit l’ostéopathie, sous peine d’être dénoncés pour infraction au code de déontologie et d’être radiés du registre2.

Par ailleurs, les écoles rapprochent de plus en plus leur programme d’études à celui des écoles orthodoxes. Même si elles affirment posséder un cursus de qualité équivalente à celle des MD, les DO ne sont pas préparés aux commissions de licence, soit parce qu’ils sont placés inférieurs en raison de critères d’admission moins restrictifs, soit parce que l’enseignement est aux mains de professeurs moins qualifiés, soit parce que les stages en ostéopathie durent en moyenne 700 heures contre 2000 heures pour les homologues orthodoxes 1:91.

La situation anormale de la Californie fait exception : en 1919, la commission pour l’agrément déclare refuser d’examiner les ostéopathes.  Bien que cette position ne soit pas suivie par le tribunal, la COA  (California Osteopathic Association) craint pour la survie de l’ostéopathie et décide de demander au législateur l’introduction d’une commission d’examen séparée pour les DO. L’association californienne des médecins, la CMA (California Medical Association), et l’AOA s’opposent à une telle initiative. La première est défavorable à une fragmentation de la médecine et la seconde estime que les projets d’une telle portée doivent être gérés à l’échelle fédérale. En dépit de l’opposition des deux associations, la loi – Osteopathic Initiative Act – est approuvée en 1922. Dès lors, l’ostéopathie en Californie devient une profession médicale à part. Les ostéopathes choisissent leur parcours de formation au sein du COP&S (College of Osteopathic Physicians and Surgeons) de Los Angeles et sont habilités à prescrire des médicaments et réaliser des interventions chirurgicales importantes dans leurs hôpitaux3.

Sur les pages du JAOA de 1926 apparaissent plusieurs interventions en faveur d’une plus grande attention à la qualification professionnelle : de nombreux DO pensent que le titre d’ostéopathe (osteopath) soit réducteur et bien trop lié aux traitements manipulateurs. Ainsi, ils demandent à le remplacer par le terme de médecin ostéopathe (osteopathic physician) retenu plus à même de refléter l’activité professionnelle1:111.

Pendant ce temps, les polémiques au sujet de l’enseignement de la pharmacologie se poursuivent : les écoles et de nombreux DO impliqués dans le secteur expriment leur voie, jugeant que l’interdiction de l’AOA limite la visée professionnelle des ostéopathes. En 1927, l’AOA tente un compromis, obligeant tous les collèges à introduire un cours de « thérapies comparées », sans spécifier quels sujets un tel cours impliquerait. Il s’agit d’un stratagème qui laisse les législateurs indifférents et ne fait qu’accroître la frustration au sein de la catégorie elle-même.

Pour calmer les polémiques, lors de l’été 1929, l’AOA définit un nouveau cours, appelé thérapies supplémentaires (Supplementary Therapeutics) prévoyant explicitement l’étude de l’usage des additifs biologiques et chimiques. Le cours est approuvé et classé comme incluant la pharmacologie. Cette décision a une portée historique et marque l’abandon de l’ostéopathie « pure »4. En vue d’accueillir les plaintes de certaines écoles d’ostéopathie qui embrassent une politique plus conservatrice, l’année suivante le cours devient facultatif, et non plus obligatoire.

Il n’en demeure pas moins que l’AOA a désormais adopté une stratégie favorable à l’homologation du cursus des ostéopathes avec celui de la médecine orthodoxe. Cette direction est maintenue au cours des années et permet aux ostéopathes américains d’obtenir une habilitation complète et illimitée pour l’exercice de la profession médicale1:82-84.

  1. Gevitz N. The DOs. The Johns Hopkins University Press, Baltimora, Maryland, USA 2004:81-82.
  2. Gevitz, N. (2014). The “doctor of osteopathy”: expanding the scope of practice. Journal of Osteopathic Medicine114(3), 200-212.
  3. Crum JF. The saga of osteopathy in California. West J Med. 1975 Jan;122(1):87-90.
  4. Gevitz, N. (2009). The transformation of osteopathic medical education. Academic Medicine84(6), 701-706.).

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Francesca Galiano

editor

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